Le déguisement parfait pour une énorme donation indirecte

xtallo Messages postés 4 Date d'inscription mercredi 31 janvier 2018 Statut Membre Dernière intervention 2 février 2018 - 1 févr. 2018 à 08:34
xtallo Messages postés 4 Date d'inscription mercredi 31 janvier 2018 Statut Membre Dernière intervention 2 février 2018 - 2 févr. 2018 à 14:19
Bonjour,

Le droit des Sociétés (y compris celles à associé unique) prime-t-il sur le droit des successions (supposé assurer l'égalité entre héritiers de même rang) ? C'est ce que semble montrer cette récente affaire :

Mme YYY a 4 fils. Lors du décès de son époux, en 1978, elle leur demande de renoncer à l’héritage de leur père afin qu’elle puisse réaliser son projet d’hôtel. Elle promet de partager les bénéfices entre tous. Une fois l’hôtel bâti, elle crée la Société Hôtel-ZZZ à 50% avec un seul de ses fils, en secret du reste de sa progéniture. Quatre ans plus tard, elle fait donation de ses parts au fils chéri. Une fois l’emprunt remboursé, en 1998, elle ne demande plus aucun loyer à la société Hôtel-ZZZ pour l’occupation des murs dont elle est seule propriétaire. Le fils chéri, associé unique de la Société ne fournit par ailleurs aucune contribution aux taxes foncières. Il se verse intégralement tous les bénéfices. Les autres enfants, au décès de leur mère, fin 2015, tentent de faire valoir que cette absence de loyer est assimilable à une donation indirecte et doit être rapportée à la succession. Verdict du Tribunal de Grande Instance courant janvier 2018 : « il ne saurait être demandé à Monsieur YYY de rapporter à la succession la libéralité prétendue, alors que le paiement des loyers incombait à la Société. » Sachant que le loyer actuel annuel pour les murs de cet hôtel, après changement de gérant, est de 27600 € HT. Calculez vous-mêmes le montant de la prétendue "non-libéralité" sachant qu’elle a duré 17 années.
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4 réponses

Bonjour
Je commence par vous donner une partie de la réponse car je n'ai pas le temps de tout développer.
Avant d'examiner en détail le cas que vous exposez, il convient de rappeler deux règles juridiques qui sont concernées.
1/ L'égalité entre héritiers :bien que ce principe soit posé comme une règle absolue, il convient toutefois d'en préciser la portée. Il ne s'agit pas d'une règle mathématique appliquée à l'ensemble d'une succession, mais d'une égalité " à minima", le législateur ayant laissé à l'individu une marge de liberté de dévolution de son patrimoine, marge variable selon le nombre d'enfants et dénommée quotité disponible.
Ainsi par exemple si le défunt avait deux enfants, l'égalité porte sur 1/3 pour chaque enfant , la quotité disponible pouvant être allouée par le défunt à quiconque.
2/ L'avantage indirect:la Cour de cassation a abandonné le principe d'autonomie de l'avantage indirect. Il s'ensuit que pour être requalifié en donation et réintégré dans une succession, il faut que les conditions de la donation soit réunies: intention libérale indiscutable, appauvrissement du donateur, enrichissement du donataire.Aussi,peu courantes sont actuellement ces requalifications.
L'examen détaillé de votre cas un peu plus tard.
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Bonjour
Suite de ma réponse :
Nous ignorons quelles étaient les relations entre cette dame et ses enfants. Mais d'ores et déjà nous pouvons dire que les trois enfants qui se prétendent lésés se sont "piégés" tout seuls.
Pourquoi accepter une renonciation pure et simple à la succession du père, sans garantie réelle du reversement futur de bénéfices par la mère, alors que l'opération pouvait très bien se faire en indivision,ce qui permettait aux enfants de conserver leurs droits?D'autant que ces bénéfices promis auraient constitué fiscalement des donations déguisées , ce qui aurait été un comble (renoncez à ses droits et avoir à payer des droits pour récupérer leurs intérêts).
Une fois les renonciations faites, la mère était seul maître à bord puisque seule propriétaire . Elle pouvait donc parfaitement ne pas encaisser les loyers, sans avoir à rendre compte à quiconque.
Bien entendu, l'action judiciaire exercée était vouée à l'échec, le locataire étant la société et non le fils.Je ne comprends pas l'attitude de l'avocat qui a invoqué ce moyen pour fonder son action, alors que la réponse découle d'une simple logique.
En conclusion , le fils préféré a été gratifié d'une donation et d'une manière indirecte des loyers.
Mais d'un point de juridique , seule la donation est à prendre en considération, et si elle ne porte pas atteinte à la réserve, il n'y a lieu ni de l'annuler ni de la réduire.Le droit des sociétés ne prime pas sur le droit des successions. Dès lors que la société à la personnalité juridique, elle est traitée comme un sujet de droit , et le droit des successions n'en est pas pour autant "bafoué".
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xtallo Messages postés 4 Date d'inscription mercredi 31 janvier 2018 Statut Membre Dernière intervention 2 février 2018
1 févr. 2018 à 13:29
"Pourquoi accepter une renonciation pure et simple à la succession du père, sans garantie réelle du reversement futur de bénéfices par la mère"

La réponse à votre question est : par confiance naturelle des enfants vis à vis de leur mère.

Vous suggérez que ce procès aurait dû démarrer dès 1979, les trois fils traduisant en justice leur mère et leur frère dès qu'il devenait évident que les promesses verbales devant notaire ne seraient pas tenues. Faire un procès à sa propre mère... Je me suis contenté de lui poser la question "mais pourquoi ?" à plusieurs reprises pendant 36 ans , sans jamais obtenir la moindre explication. Cependant être conscient de s'être fait "piègés" par sa propre mère et un frère à un certain effet sur la qualité des relations familiales postérieures. Et il fallait bien essayer au final de faire reconnaître cet étonnant favoritisme. Pour moi ce jugement est inique. Le montant de la donation indirecte est égal à ce qu'il reste à partager entre 4, donc oui il y a atteinte à la réserve.

L'argumentation "c'est pas moi c'est la société" était attendu par mon avocat dont la stratégie - qui n'a pas convaincu le tribunal - était la suivante :
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Or, au jour de la cession du fonds de commerce, soit le 18 mars 2016, le montant du bail commercial a été évalué à la somme de 2.300 euros HT, loyer plus de 30 fois supérieur à celui prétendument versé par Monsieur YYY à sa mère pendant 16 ans.

De manière constante, la jurisprudence considère qu’un bail consenti en contrepartie d’un loyer modique constitue une donation lorsque celle-ci procède d’une intention libérale (Cass. 1re civ., 24 oct. 1968 : Bull. civ. 1968, I, n° 410, CA Toulouse, 1re ch., 2e sect., 3 juin 2008 : JurisData n° 2008-373138)

Grâce à ce loyer d’un montant dérisoire, les bénéfices de la société dont Monsieur YYY est l’associé unique, bénéfice qu’il se faisait reverser annuellement, ont été supérieur du montant ainsi économisé à ce qu’ils auraient été si un loyer normal avait été payé par la société.

Monsieur YYY a donc indirectement bénéficié de l’avantage que sa mère a accordé à la Société.

Il est donc établi de manière certaine que le faible montant de ce loyer est constitutif d’une donation indirecte, résultant de l’appauvrissement volontaire de feue Mme YYY, dans l’intérêt exclusif de son fils, Monsieur YYY.
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Donc les juges considèrent que se priver de presque 500.000 € n'est pas s'appauvrir alors que l'on touche 1000 € de retraite améliorée par 1000 € de revenus provenant de la location d'un espace commercial de 85m2 (tandis que l'hôtel fait 600m2 donné gratis au fils aimé). Et quant à l'intention libérale ? Invisible...
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PS:il aurait été intéressant de disposer du développement du ou des moyens invoqués par l'avocat des demandeurs, pour se faire une idée précise de la façon dont il a abordé cette affaire.
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Bonjour
Si vous pensez que ce jugement est inique, pourquoi n'avoir pas interjeté appel, et éventuellement ne pas vous être ensuite pourvu en cassation?
J'attire votre attention sur le fait que les deux arrêts que vous citez sont antérieurs au revirement de la jurisprudence de la cour de cassation (2012).
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xtallo Messages postés 4 Date d'inscription mercredi 31 janvier 2018 Statut Membre Dernière intervention 2 février 2018
Modifié le 1 févr. 2018 à 16:18
Pourquoi n'avoir pas fait appel ? Manque de moyens, manque de temps (avant de passer l'arme à gauche), manque d'énergie face à des juges qui disent c'est pas lui c'est la Société qui devait payer le loyer (qui ne lui était pas demandé !), manque de motivation quand votre avocat vous dit que vous n'auriez que 25% de chance d'obtenir réparation, et qu'il ne peut pas vous le faire à moins de 15.000 € TTC. Déjà bien content que la liquidation des comptes et le partage soient mis en marche, ce qui était le but principal, de sortir d'une indivision, ce qui bien sûr n'a pas pu se faire à l'amiable, l'ancien gérant de l'hôtel refusant de vendre pour récupérer une part d'un loyer que lui (mince je fais encore l'amalgame avec la Société unipersonnelle, oops) n'avait jamais payé. Elle est pas belle la justice ?

Vous dites "il faut que les conditions de la donation soit réunies: intention libérale indiscutable, appauvrissement du donateur, enrichissement du donataire." Pour moi ces trois conditions sont réunies, mais ce n'est pas cela que considèrent les juges, le point essentiel pour eux est l'écran de fumée de la Société unipersonnelle.
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xtallo Messages postés 4 Date d'inscription mercredi 31 janvier 2018 Statut Membre Dernière intervention 2 février 2018
2 févr. 2018 à 14:19
En tout cas merci pour vos éclairages.

Un autre avis d'avocat sur la question : "le rapport des loyers au motif que ceux ci auraient un caractère ridiculement bas qui les assimileraient à une donation déguisée suppose qu'ils soient reconnus comme tel par le juge a défaut le droit des contrats l'emporte en considérant que le bail est valable et que le loyer indiqué a été consenti en connaissance de cause sans intention libérale."

Voilà, c'est comme à la Fac, le jury est souverain, tout simplement.
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